Le référé de la Cour des comptes du 12 mars 2018 sur la contribution des ÉSPÉ à la formation des enseignants et la réponse des deux ministres de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur datée du 22 mai ont été rendus public mardi 5 juin.
Le débat est relancé sur les effets de la réforme de 2013 sur la formation des enseignants et sur la place des épreuves des concours de recrutement. Plus globalement, c’est la question du pilotage du dossier par les deux autorités de tutelle qui est aussi posée. L’emballement médiatique suscité à la fois par la publication du référé et la réponse des ministres renforce le sentiment de confusion, en particulier chez les formateurs dans les ÉSPÉ qui ne sont absolument pas concertés pour le moment. Le SGEN-CFDT demande plus de sérénité et de concertations sur un sujet aussi important et rappelle que l’évolution de la formation en ÉSPÉ figure justement à l’ordre du jour de l’agenda social 2018-2019. L’évolution de la formation dans les ÉSPÉ, que le SGEN appelle de ses vœux, ne pourra pas se faire sans les personnels concernés.
Les recommandations du référé sont à examiner avec attention
Un rapport de la Cour des comptes présente souvent l’intérêt de porter un regard critique sur un sujet public. Les six recommandations formulées par la Cour des comptes à l’issue du référé du 12 mars interpellent les ministres de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur sur les ÉSPÉ et la formation des enseignants. Il leur est explicitement demandé d’apporter un certain nombre de réponses à différents problèmes liés aux questions de formation et de recrutement cinq ans après la loi de refondation de l’école de la République. Ce que les deux ministres ont fait en date du 22 mai dans un courrier commun (signe de rapprochement entre les deux cabinets ?), et plus long que le référé de la Cour des comptes lui-même.
Pour le SGEN-CFDT, les recommandations du référé sont à examiner avec attention, et un certain nombre d’éléments apportés par les ministres dans leur réponse demandent clarification.
La question de l’offre de formation et du pilotage
Les trois premières recommandations du référé ont le mérite de relancer la réflexion sur la question de l’offre de formation et sur le pilotage de la mission. Mais elles ne tiennent pas suffisamment compte de l’évolution du dispositif de formation et des missions de service public.
- Privilégier le rôle de l’État employeur (« Le ministère de l’Éducation nationale doit renforcer sa capacité de pilotage en tant que donneur d’ordre vis-à-vis des opérateurs de formation que les universités sont devenues », p. 2 du référé) peut présenter un risque sur le principe d’universitarisation de la formation des enseignants et, par conséquent, sur le rôle de l’enseignement supérieur et de la recherche qui ne peut être réduit à un simple prestataire de service. Un cahier des charges plus explicite est effectivement primordial pour élaborer les plans de formation des différents masters MEEF, en particulier pour les trois premières mentions qui ne ciblent que les métiers de l’éducation nationale. Mais l’indispensable adossement des formations à la recherche nécessite aussi de garantir aux enseignants les conditions nécessaires à l’exercice de leur enseignement. Au risque de limiter encore un peu plus l’investissement des enseignants-chercheurs dans ces parcours. De plus, les ÉSPÉ ont aussi vocation à former les étudiants à d’autres métiers et les formations pour le moment plutôt regroupées dans la mention 4 (pratiques et ingénierie de la formation) qui ne préparent pas aux métiers de l’éducation nationale peuvent aussi contribuer à la réflexion sur la formation des enseignants et des CPE.
- Faire de la région académique la nouvelle échelle pour structurer les cartes de formation (« rationaliser l’offre de formation en affirmant le rôle d’impulsion de la région académique », p. 6 du référé) ne peut pas se faire au détriment d’une couverture territoriale satisfaisante. Le Sgen-CFDT n’est ni demandeur, ni favorable à une fusion des académies. La fusion des académies rationaliserait sûrement l’organisation territoriale, mais sur un mode pyramidal : il s’agit apparemment pour le ministre d’avoir treize recteurs et rectrices en lien direct avec lui et de renforcer la chaîne hiérarchique dans une forme de jacobinisme déconcentré. La région académique n’est pas nécessairement le meilleur niveau pour promouvoir des partenariats entre ÉSPÉ, et la rationalisation des cartes de formation ne peut pas se faire au détriment d’une politique de proximité indispensable dans le cadre d’une mission de service public.
la question du recrutement et de l’accompagnement
Les trois dernières recommandations sur les parcours de formation soulèvent à nouveau la question du recrutement et de l’accompagnement des stagiaires et des néo-titulaires dans l’entrée dans le métier.
- Il n’est pas juste de dire que l’allongement de la durée des études pour se présenter au concours de recrutement (niveau bac +5 depuis 2008) et la création des ÉSPÉ et du master MEEF (2013) n’ont pas garanti une élévation du niveau de compétences (p. 4 du référé). Il est sûrement encore trop tôt pour l’affirmer et mesurer les effets de ces réformes importantes que le Sgen-CFDT a soutenu. En revanche, la crise de recrutement que traverse l’éducation nationale depuis plusieurs années et qui touche certaines académies et/ou certaines disciplines est aussi due au problème plus profond de l’attractivité du métier d’enseignant. L’organisation d’un accompagnement renforcé lors de l’entrée dans le métier est une bonne initiative pour individualiser au maximum les parcours de formation, mais cette préconisation de la Cour des comptes ne fera pas l’économie d’une réflexion plus profonde sur la « crise des vocations ».
- La place des concours est à nouveau au centre des débats, et elle occulterait presque tous les autres enjeux d’une formation profondément remaniée depuis presque dix ans. La recommandation par la Cour des comptes d’un pré-recrutement en fin de L3 (p. 6) pour limiter l’hémorragie et sécuriser les parcours de formation ne satisfait pas le SGEN-CFDT. Cette solution ne règle en rien la question statutaire des admissibles pendant un an si les épreuves d’admission en fin de L3 sont anticipées par rapport aux épreuves d’admissibilité en fin de M1. Elle conduit, de fait, à construire un concours sur des épreuves académiques pour l’admissibilité, alors que nous revendiquons un concours complet rénové et qui mesure des aptitudes professionnelles. En cas d’épreuves d’admission placées en fin de M1 (comme c’est déjà le cas), le master serait encore scindé en deux. Enfin, les étudiants d’un master universitaire, certes dévolu aux métiers de l’éducation nationale pour la plupart des parcours, ne seraient que des admissibles à un concours de l’éducation nationale. Le master MEEF a-t-il vocation à devenir un master MEN ? Le Sgen-CFDT défend plutôt l’idée d’un concours en fin de M2, plus professionnel, après deux années de formation dans un master en alternance avec des stages rémunérés.
- La professionnalisation des parcours de licence est une des dernières recommandations de la Cour des comptes. Elle satisfait le Sgen-CFDT. En effet, la préparation aux différents métiers de l’éducation nationale nécessite un continuum de formation, de la licence aux premières années d’exercice. Les EAP en L2-L3 et les M1 en alternance, dispositifs mis en œuvre dans cinq académies à l’heure actuelle (Amiens, Créteil, Guyane, Reims et Versailles) méritent d’être expertisés. La préparation spécifique au métier de professeur des écoles dans des licences organisées en « majeur-mineur » mérite, là aussi, une attention particulière.
Pprendre bien en compte les intérêts des deux partenaires
Le SGEN-CFDT rejoint la Cour des comptes pour que soit réaffirmé le pilotage de la mission de formation des enseignants mais en prenant bien en compte l’ensemble des intérêts des deux partenaires, éducation nationale et enseignement supérieur. Faire inscrire systématiquement la formation initiale des enseignants dans les contrats de sites de toutes les universités intégratrices des ÉSPÉ serait l’occasion de rendre compte en toute transparence des moyens consacrés à la formation des enseignants.
Au-delà des recommandations du référé et des premières réponses apportées par les deux ministères, le SGEN-CFDT rappelle son attachement à une concertation la plus ouverte possible sur une question aussi sensible.