Interview : le point sur la loi Orientation et Réussite des Étudiants

Le Sgen-CFDT a émis un avis favorable sur le projet de loi ORE Orientation et Réussite des Étudiants. Après son vote par le parlement, c'est le moment de faire le point. Profession Éducation interviewe Franck Loureiro, secrétaire général adjoint du Sgen-CFDT.

Loi Orientation et Réussite des Étudiants, où en sommes-nous ?

Franck Loureiro - Où en est on de la loi Orientation et Réussite des Étudiants ?

Profession Education (PE) : Le Sgen-CFDT a émis un avis favorable sur le projet de loi ORE au CNESER. N’avez vous pas pris un risque alors que la plupart des autres syndicats ont voté contre ?

Franck Loureiro (FL) : Je rappelle d’abord que la CFDT n’a pas été seule à voter favorablement. Le projet de loi ORE a reçu un avis favorable de la majorité des membres du CNESER. Certains ont tendance à l’oublier. Il est bon de le rappeler. La CFDT n’était pas seule contre tous. La première organisation étudiante a également voté favorablement.

Pour répondre à la question, nous n’avons pas pris de risque, nous avons pris nos responsabilités, celles de première organisation syndicale dans l’ESR.

Nous n’avons pas pris de risque, nous avons pris nos responsabilités !

Le Sgen-CFDT porte des valeurs, celles d’égalité, de solidarité, de justice… Il lutte au quotidien contre toutes les formes de discriminations. Il a introduit en France dans les années soixante-dix, le principe d’éducation prioritaire. Il appelle à un grand débat sur la place des filières sélectives dans l’enseignement supérieur. Il n’est pas acceptable que l’investissement par étudiant dans les universités soit inférieur à celui des grandes écoles et des classes préparatoires.

Nous avons envoyé une lettre aux organisations opposées à la réforme pour leur demander de nous rejoindre dans ce combat. Nous n’avons pas reçu de réponse sur ce sujet précis. Peut-être parce que certains ne sont pas très au clair avec ce sujet ? Ce n’est pas notre cas.

La sélection sociale qui s’opère à l’université est inacceptable.

La part des jeunes issus de familles populaires est ridiculement basse. Ils constituent la très grande majorité des abandons.

 

PE : En quoi la loi ORE va-t-elle changer cela ?

FL : Aujourd’hui, le débat tourne essentiellement autour du classement des dossiers. C’est normal … c’est l’élément qui suscite le plus d’inquiétude dans la communauté universitaire. Il ne faut pas le rejeter d’un revers de main. Il faut s’en emparer et y répondre en apportant des réponses concrètes et pragmatiques. Sinon ceux qui sont opposés à la réforme continueront à entretenir les peurs, les amplifier pour faire oublier le reste de la loi.

Car la loi ORE, c’est aussi :

  • les quotas de boursiers dans les filières sélectives,
  • l’accès favorisé, pour les bacs pros et technos qui le souhaitent, en STS ou en IUT,
  • la transparence des informations sur les formations y compris les formations sélectives (en particulier les taux de réussite qui ne sont pas meilleurs en CPGE qu’en licence),
  • la transparence sur les critères de choix des candidats dans les filières non sélectives et sélectives.

L’élément central de la LOI ORE : la création d’un droit à l’accompagnement pour les étudiants en difficultés.

Mais c’est également, et pour le Sgen-CFDT c’est l’élément central de la LOI ORE, la création d’un droit à l’accompagnement pour les étudiants en difficultés. ce sont les fameux « Oui si ». Or, on le sait bien, les étudiants les plus en difficulté sont majoritairement, et quelle que soit la filière du bac, ceux issus des familles populaires.

 

PE : Mais beaucoup disent que les établissements ne mettront pas en place de dispositifs d’accompagnement, qu’ils ne répondront pas « Oui si ». C’est donc un des éléments de la loi ORE, et un élément fondamental d’après vous, qui ne verra pas le jour.

FL : Il faut d’abord rappeler que beaucoup d’établissements avaient mis en place de tels dispositifs. Il ne faut pas faire croire que les enseignants des universités sont indifférents à l’échec des étudiants. C’est une souffrance de voir se vider au fil des semaines une partie des sièges des salles de cours, TP ou TD … Le Sgen-CFDT fait confiance aux enseignants et aux autres agents des universités pour tout mettre en œuvre pour accompagner les étudiants des familles populaires vers la réussite.

Le Sgen-CFDT fait confiance aux enseignants et aux autres agents des universités.

Le Sgen-CFDT s’opposera fermement à tous ceux qui veulent dégrader l’image des agents de l’enseignement supérieur en faisant croire qu’ils sont insensibles et égocentriques. C’est la mode de s’en prendre aux fonctionnaires … certains membres du gouvernement en on fait une stratégie de communication. Ils pensent ainsi s’attirer la sympathie d’une partie de l’électorat ou faire oublier leurs erreurs voire leurs échecs. Ils sont hélas aidés par les propos tenus par certains responsables d’organisations syndicales.

Quelle image des agents envoient-ils dans l’opinion publique lorsqu’ils disent qu’ils ne feront rien pour mettre en place les éléments de la loi ORE qui visent à aider, à accompagner les étudiants en difficulté ? Cela est irresponsable à un moment où nous avons besoin de l’opinion publique pour faire face aux attaques dont nous sommes l’objet.

 

PE : La loi ORE est donc parfaite ?

FL : Non ! En particulier parce qu’elle ne va pas assez loin sur le sujet des filières sélectives et de la différence de financement entre celles-ci et les filières non sélectives. Ce sujet n’a pas pu être traité à cause de la focalisation de certains sur les « Oui si ».

Le Sgen-CFDT va se mobiliser pour le budget 2019. Car il est indispensable que celui-ci soit à la hauteur des enjeux de la loi ORE et d’un accueil de qualité pour tous les étudiants. Nous ne demanderons pas d’argent supplémentaire sans expliquer ce que nous voulons en faire.

Nos équipes d’établissement veulent savoir combien de postes et de moyens financiers supplémentaires ont reçu leur établissement.

C’est aussi le sens de notre récente interpellation de la ministre sur la transparence des moyens attribués aux établissements. Nos équipes d’établissement veulent savoir combien de postes et de moyens financiers supplémentaires ont reçu leur établissement. Ils veulent savoir comment ces moyens ont été utilisés. Ils veulent être associés car il n’est pas question que ces moyens soient utilisés pour faire autre chose que ce à quoi ils ont été destinés.

 

PE : A quoi et à qui doivent -ils servir ?

FL: Pour le Sgen-CFDT, ils doivent permettre d’accompagner la mise en œuvre de la réforme en créant les dispositifs d’accompagnement prévu par la loi ORE. Ils doivent aussi reconnaitre l’investissement supplémentaire demandé aux agents. Il faut identifier ceux qui seront impactés : enseignants, enseignants-chercheurs, responsables de filières de L, personnels des services de scolarité, des SCUIO, des bibliothèque, des CROUS… et leur verser une indemnité compensatrice. Il faut aussi recruter des agents supplémentaires. Cela est possible.

Les personnels doivent être associés aux décisions concernant l’utilisation,  dans les établissements, de ces moyens.

La ministre dit avoir débloqué 35 millions d’euros pour la période de septembre à décembre 2018. Les personnels doivent être associés aux décisions concernant l’utilisation, dans les établissements, de ces moyens. Sans cela, le Sgen-CFDT utilisera tous les moyens à sa disposition y compris l’appel à mobilisation dans les établissements qui ne jouent pas le jeu.

 

PE : Vous êtes confiant quant à la mise en œuvre de la loi ORE et à son impact ?

FL :  Il ne s’agit pas de confiance ou de méfiance. Il s’agit de responsabilité. Le Sgen-CFDT étudiera la mise en œuvre de la loi ORE et son impact. Car il peut y avoir un écart entre un modèle théorique et sa réalisation concrète. C’est inhérent à ce type de mesures structurelles.

C’est pour cela que le Sgen-CFDT a demandé et obtenu la mise en place d’un comité de suivi de la loi ORE. Il comportera un « collège » de scientifiques. Ils seront plus particulièrement chargés de mesurer l’impact sur la mixité. Nous avons demandé à la ministre de désigner des scientifiques reconnus pour leurs travaux sur ce sujet.

 

PE : Avez-vous des inquiétudes concernant la loi ORE ?

FL : Oui,mais elles concernent la partie bac -3. Pour le Sgen-CFDT, il était indispensable que la réforme de l’accès au premier cycle s’articule avec la réforme du bac et du lycée. Nous portons depuis longtemps la nécessité de la mise en œuvre d’un continuum de formation. Or les annonces et les textes sur le bac ne vont pas dans ce sens. La réforme du bac est incohérente. Elle ne permet pas de préparer les lycéens à l’enseignement supérieur. C’est un échec qui pourrait avoir des conséquences sur la réforme du premier cycle.

Le ministre de l’Éducation Nationale n’écoute pas. Il ne voit pas que ces réformes suscitent une opposition très large voire pour certaines, unanime. Certains chroniqueurs parlent d’ivresse du pouvoir… je ne sais pas, mais il y a un vrai problème !