Supprimer la qualification aux fonctions d’enseignants-chercheurs serait irresponsable !

Un amendement déposé dans le cadre du projet de loi de transformation de la Fonction publique et les conclusions du colloque de la Conférence des Présidents d'Universités (CPU) relancent les attaques contre la procédure nationale de qualification aux fonctions d'enseignants-chercheurs.

La procédure de qualification des enseignants-chercheurs se trouve une nouvelle fois remise en cause. Par des députés de la majorité tout d’abord qui, au détour d’un amendement au projet de loi de transformation de la Fonction publique, ont proposé d’expérimenter le recrutement hors Conseil national des universités (CNU). Puis par la Conférence des présidents d’universités (CPU) qui semble voir dans cette procédure une entrave à l’autonomie des établissements et une dévalorisation du doctorat.

La vacuité de ces arguments maintes fois répétés nécessite de réaffirmer avec force certains principes auxquels le Sgen-CFDT reste fermement attachés, à savoir l’indépendance et l’égalité de traitement des fonctionnaires en général et celles des enseignants-chercheurs en particulier. Au-delà des arguments qui sont traditionnellement mis en avant (procédure nationale VS localisme), nous entendons ici tordre le coup à un certain nombre d’idées reçues qui sont sciemment entretenues par celles et ceux qui rêvent de supprimer purement et simplement toute procédure nationale de qualification.

Garantir l’égalité d’accès à la carrière universitaire

Le statut des fonctionnaires vise à leur garantir l’indépendance morale et la neutralité à l’égard de la politique, qu’elle soit nationale ou locale. Leur mode principal de recrutement reste le concours qui permet une égalité d’accès à la Fonction publique et pour lequel il faut remplir des conditions de diplôme ou de niveau d’études.

Fonctionnaires d’État, les universitaires bénéficient d’un statut dérogatoire qui a valeur constitutionnelle et qui leur assure la liberté de recherche et d’enseignement, indépendamment des pressions politiques ou hiérarchiques dont ils pourraient faire l’objet. Rappelons qu’à travers le monde, ce métier est l’un des plus exposés, surtout lorsqu’un régime politique tend vers l’autocratie.

La qualification est une étape fondamentale et unique qui assure un traitement égalitaire à celles et ceux des docteur.e.s qui envisagent d’embrasser la carrière la universitaire

La procédure de qualification aux fonctions de maître.sse de conférences (MCF) participe du respect de ce principe institutionnel et juridique. Elle est une étape fondamentale et unique qui assure un traitement égalitaire d’accès pour celles et ceux des docteur.e.s qui envisagent d’embrasser la carrière la universitaire.

La qualification dévalorise-t-elle le doctorat ?

On entend parfois dire que la qualification dévalorise le doctorat. C’est tout le contraire ! Déjà parce que tous les docteurs n’ont pas vocation à devenir enseignants-chercheurs. En 2018, sur les 15 208 dossiers qui ont été ouverts sur l’application dédiée, 12 402 ont été examinés par les différentes sections du CNU, 8048 (soit 52,9% des dossiers initiaux et 65% des dossiers examinés) ont été qualifiés aux fonctions de MCF et 4354 ne l’ont pas été (Source : MESRI-DGRH). Si la détention d’un doctorat est une condition nécessaire pour se porter candidat à la qualification, elle n’est pas en soi une condition suffisante.

Ensuite parce que cette étape permet de qualifier la ou le docteur.e d’UNE université (celle où a été soutenue la thèse) aux fonctions de maître.sse de conférences DES universités. Sa suppression conduirait à remettre en cause le caractère national du recrutement des enseignants-chercheurs et à exacerber la concurrence entre universités.

Cette étape permet de qualifier la ou le docteur.e d’UNE université (celle où a été soutenue la thèse) aux fonctions de maître.sse de conférences DES universités

Il s’agit donc d’une phase à part entière qui intervient avant que les établissements ne recrutent et qui assure le maintien d’un haut niveau d’exigence quel que soit le lieu ou a été soutenue la thèse. Du reste, l’existence même de cette procédure de qualification, engage la réputation des directeurs de thèse devant les pairs de leur discipline.

La qualification entrave-t-elle l’autonomie des universités ?

Certains présidents d’université se plaisent à répéter que la procédure de qualification les empêche de recruter en toute autonomie. C’est faux ! Les universités disposent de tous les outils possibles pour recruter qui elles veulent en parfaite autonomie : elles choisissent elles-mêmes de publier ou non des postes, de leur donner tel ou tel profil, elles nomment les présidents et fixent la composition des comités de sélection, et elles disposent même d’un droit de veto.

Les universités disposent de tous les outils possibles pour recruter en parfaite autonomie

En outre, contrairement à ce qui est souvent dit ici ou là, les universités peuvent déjà recruter les enseignants-chercheurs contractuels hors CNU.

Enfin, celles et ceux qui reprochent à la procédure de qualification de constituer un frein au recrutement de profils internationaux oublient qu’il existe une dispense de qualification pour« les candidats exerçant ou ayant cessé d’exercer depuis moins de dix-huit mois une fonction d’enseignant-chercheur, d’un niveau équivalent à celui de l’emploi à pourvoir, dans un établissement d’enseignement supérieur d’un Etat autre que la France ».(cf.article 22 du décret n°84-431 du 6 juin 1984). Dans ce cas, c’est le conseil académique ou l’organe en tenant lieu qui se prononce, i.e.l’établissement !

Les comités de sélection offrent-ils des garanties suffisantes ?

Il est assez curieux de constater que ceux qui veulent supprimer la qualification ne proposent rien pour la remplacer. Ils se questionnent sur l’utilité d’une phase nationale préalable au recrutement local mais ne s’interrogent pas sur les dysfonctionnements qui peuvent émailler les comités de sélection.

Or, si l’on regarde le volume du contentieux, il n’y a pas photo ! Les recours à l’encontre des décisions de comités de sélection se multiplient et montrent que les opérations de recrutement conduites par les établissements sont juridiquement mal sécurisées. Il en résulte un empilement de dispositions réglementaires et jurisprudentielles qui visent notamment à rappeler les règles de déport qui doivent s’appliquer scrupuleusement aux comités de sélection. Si ces règles sont parfaitement légitimes, elles rendent difficiles la constitution et le fonctionnement desdits comités. Et encore, c’est sans compter les témoignages qui montent, de plus en plus nombreux à mesure que la parole se libère, dénonçant des phénomènes d’emprise psychologique ou des cas de violences sexistes.

Il est clair, et tout le monde le sait, que les comités de sélection ne peuvent pas offrir, à eux seuls, toutes les garanties d’égalité, de qualité et de fiabilité qui doivent présider au recrutement des enseignants-chercheurs.

Les comités de sélection ne peuvent pas offrir toutes les garanties d’égalité, de qualité et de fiabilité qui doivent présider au recrutement des enseignants-chercheurs

Pour conclure, le Sgen-CFDT ne soutient pas que le fonctionnement de toutes les sections du CNU soit optimal et il est toujours possible d’améliorer les pratiques, notamment en vue de mieux les harmoniser, ou de revoir certaines missions. Mais il serait irresponsable de supprimer la procédure de qualification, en particulier pour ce qui est de l’entrée dans la carrière. Il s’agirait d’un sacré coup de canif porté à l’indépendance des enseignants-chercheurs qui résulte d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République.