Réforme des retraites : décrypter pour d’autres choix

Le gouvernement affirme que les retraites sont financièrement en danger et que la seule solution est le recul de l’âge légal de départ à la retraite. La CFDT récuse cette analyse et rejette tout recul de l’âge légal de départ. Retrouvez ici nos alternatives pour une réforme juste et solidaire.

COMPRENDRE LE BESOIN DE FINANCEMENT DU SYSTÈME DE RETRAITE

Depuis plusieurs années, le Conseil d’orientation des retraites (COR) démontre que les dépenses du système de retraite sont maîtrisées. Cela n’a pas toujours été le cas. Aujourd’hui, cette maîtrise des dépenses – qui est la conséquence des réformes des dernières décennies – n’est pas contestée. De plus, les caisses de retraites ont, au fil des années, constitué des réserves pour sécuriser l’avenir, et elles s’élèvent aujourd’hui à 170 milliards d’euros nets. En revanche, tout le monde n’est pas d’accord sur le besoin de financement du système de retraite pour les années à venir. Chacun s’appuie sur le dernier rapport du COR pour affirmer des choses différentes : certains disent que le déficit à venir sera important, d’autres affirment qu’il sera d’une ampleur limitée, et d’autres encore soutiennent qu’il n’y aura aucun problème. Pour comprendre ce désaccord, il faut revenir sur la manière dont le COR construit ses projections de recettes et dépenses.

Qu’est ce que le COR ?

Le Conseil d’orientation des retraites (COR) est une instance chargée d’analyser et de suivre les perspectives à moyen et long terme du système de retraite français. Le COR publie un rapport annuel qui dresse les perspectives du système français des retraites jusqu’en 2070.

COMMENT LE COR CALCULE LES RECETTES ET DÉPENSES FUTURES DU SYSTÈME DE RETRAITE ?

Le COR fait des calculs en se basant sur différentes hypothèses économiques.

  • Premièrement, selon quatre hypothèses de croissance économique : + 0,7 % ; + 1 % ; + 1,3 % et + 1,6 % par an.
  • Deuxièmement, selon deux hypothèses de taux de chômage (5 % et 7 %).
  • Et, troisièmement, selon deux types de choix politique sur la participation de l’État au financement du système de retraite : maintien ou recul.

Parce que le COR prend en compte ces différentes hypothèses, il ne propose pas une seule projection, mais une douzaine. C’est cette pluralité de projections qui brouille le débat public, et qui permet à chacun d’en tirer des conclusions différentes.

COMMENT SIMPLIFIER RAISONNABLEMENT LE DÉBAT ?

Pour simplifier le débat, il faut retenir, parmi toutes les hypothèses du COR, les hypothèses les plus crédibles. Parmi les différentes hypothèses de croissance économique, la plus crédible est celle de + 1,3 % : elle est cohérente avec les projections de court terme du gouvernement ainsi qu’avec les estimations à long terme de différentes institutions internationales. En ce qui concerne le taux de chômage, retenir une hypothèse à 7 % à long terme est un choix prudent et réaliste. Concernant la participation de l’État au système de retraite, il s’agit d’un choix politique : il peut décider de réduire, ou maintenir, son niveau de dépenses en faveur des retraites. Aujourd’hui, le gouvernement retient d’autres hypothèses économiques. Mais surtout, il choisit unilatéralement de réduire sa participation au système de retraite, hypothèse qui aggrave le plus le déficit du système. Ce choix politique signifie une baisse des rémunérations réelles (compte tenu de l’inflation) et un ralentissement – voir un gel – des pensions des fonctionnaires. Un recul de la participation de l’État implique aussi moins de financement des mécanismes de solidarité dans le système de retraite.

Or, plus l’État réduit sa participation, plus le manque à gagner pour le système de retraite est important. Ainsi, à rebours du gouvernement, et sachant qu’il y a un choix politique à faire, la CFDT propose non pas un seul chiffre, mais un intervalle qui explicite le besoin de financement futur. Il est bon de souligner que c’est aussi la méthode utilisée par le Comité de suivi des retraites, comité d’expertes et d’experts chargé de rendre une analyse au Gouvernement.

QUEL BESOIN DE FINANCEMENT POUR LES ANNÉES À VENIR ?

Pour avoir une juste appréciation du devenir du système de retraite, il faut regarder le besoin de financement à court terme (2027), à moyen terme (2040) et la tendance à long terme (au-delà de 2040). Ainsi, en considérant à la fois un taux de croissance à 1,3 % et un taux de chômage à 7 %, on peut dire que le besoin de financement est :

  • en 2027, entre 7 milliards d’euros (si l’État maintient sa participation) et 9 milliards d’euros (si l’État réduit sa participation) ;
  • en 2040, entre 4 milliards d’euros (si l’État maintient sa participation) à 18 milliards d’euros (si l’État réduit sa participation) ;
  • à long terme, entre une stagnation sans dérive du besoin de financement (si l’État réduit sa participation) et une amélioration suivie d’un excédent de financement (si l’État maintient sa participation).

Dit autrement, le besoin de financement du système de retraite évolue au sein d’un intervalle qui dépend des choix politiques que fera l’État.

QUELLE EST LA POSITION DE LA CFDT SUR LE BESOIN DE FINANCEMENT ?

À partir de ces résultats, la CFDT estime qu’il y a bien un sujet financier mais qui n’est pas catastrophique. Il est raisonnable quand on le compare au volume total de dépenses pour les retraites qui est actuellement de 345 milliards d’euros. Par ailleurs, le besoin de financement est très inférieur à ceux précédents les deux dernières réformes des retraites (2010 et 2014). Il était à moyen terme de 47 milliards d’euros avant la réforme Fillon, et de 28 milliards d’euros avant la réforme Touraine.

LE RECUL DE L’ÂGE LÉGAL : UNE MESURE À L’EFFICACITÉ FINANCIÈRE TRÈS CONTESTABLE

Le recul de l’âge d’ouverture des droits a d’abord des effets négatifs sur l’ensemble des finances de la Sécurité sociale. En effet, les personnes liquidant leurs droits plus tard seront pour certaines, par exemple, bénéficiaires plus longtemps d’allocations familiales ou d’indemnités de chômage ou bien, elles seront plus longtemps susceptibles d’être en arrêt pour accident du travail ou maladie professionnelle (ATMP). Cela réduit d’un tiers les économies attendues par la réforme. Ensuite, sur l’ensemble des finances publiques (État et Sécurité sociale), l’effet du recul de l’âge légal dépend de ses conséquences macroéconomiques. Or, ces conséquences sont controversées : à court terme (entre 5 et 10 ans), il n’est pas certain qu’un report de l’âge réduise le besoin de financement. En effet, une telle réforme entraine un surcroît de main d’œuvre, donc une hausse du chômage à court terme et un frein aux augmentations salariales (donc une moindre hausse des cotisations finançant le système de retraites, mais aussi de recettes fiscales pour l’État).

LE RECUL DE L’ÂGE LÉGAL : UNE MESURE SOCIALEMENT PRODUCTRICE D’INÉGALITÉS

La démonstration par l’exemple :

Élisa est née en 1975 et elle a commencé à travailler à 20 ans sans interruption de carrière. Elle devra cotiser pendant 43 ans pour atteindre le taux plein, donc jusqu’à ses 63 ans. Avec un âge légal de départ en retraite à 62 ans, elle peut partir à 62 ans avec une décote, ou au-delà de 63 ans avec une surcote. Avec la réforme, elle devra attendre 64 ans et n’aura pas le bonus de la surcote.

La CFDT rejette tout recul de l’âge légal qui, en plus d’être une mesure socialement injuste, va pénaliser les travailleurs et les travailleuses les plus modestes : en premier lieu pour les personnes qui atteindront la durée requise pour le taux plein avant l’âge légal. Elles devront obligatoirement travailler au-delà de la durée requise pour le taux plein mais sans pouvoir bénéficier du bonus de la surcote, puisque la surcote n’est accessible qu’une fois atteint l’âge légal de départ. C’est une forme de double peine, à rebours du discours sur le mérite du travail puisque le fait de travailler plus ne sera plus financièrement récompensé. Inversement, les personnes ayant commencé à travailler plus tardivement, ayant fait des études longues et occupant des postes de cadres, continueront de bénéficier de la surcote puisqu’elles atteindront la durée requise pour le taux plein après l’âge légal. Avec un recul progressif de l’âge légal à 64 ans, cette injustice concerne potentiellement toutes les personnes qui ont commencé à travailler avant 21 ans. En outre, une étude de la DRESS (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du Ministère de la Santé) réalisée suite au recul de l’âge d’ouverture des droits de 60 à 62 ans (avec la réforme de 2010) donne déjà à voir les conséquences du recul de l’âge sur le montant total des pensions. Pour le quart des salarié·es les moins rémunérés, le montant des pensions a diminué. Inversement, le montant des pensions a augmenté pour le quart des salarié·es les mieux rémunérés. Le recul de l’âge légal de 60 à 62 ans a donc augmenté les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres. Le même type de mesure produisant les mêmes effets, le recul à 64 ans augmentera aussi les inégalités.

LES ALTERNATIVES CFDT À LA RÉFORME DU GOUVERNEMENT

Le point de départ de la réforme proposée par le gouvernement est celle d’un recul de l’âge légal. Pour le dire autrement, pour répondre au besoin de financement du système de retraite, le gouvernement fait le choix :

  • de l’allongement de la durée des carrières ;
  • du seul allongement de la durée des carrières ;
  • et de leur allongement par la contrainte.

Ce point de départ ne peut pas convenir à la CFDT. Si la CFDT reconnait qu’il y a bien un besoin de financement, elle considère toutefois que tout l’effort ne peut pas reposer sur les seuls travailleurs et travailleuses. En effet, fondamentalement, une bonne mesure, c’est un paquet de mesures qui répartit les efforts entre les employeurs et les employeuses, les travailleurs et les travailleuses et les retraité·es, sans oublier l’État. Pour la CFDT, tout allongement de la durée des carrières doit être volontaire et non contraint. Or, pour vouloir prolonger sa carrière encore faut-il le pouvoir. La réponse au besoin de financement des retraites doit d’abord passer par l’amélioration de l’emploi des séniors, et ensuite des mesures complémentaires faisant contribuer toutes les parties concernées.

UNE ALTERNATIVE S’INSPIRANT DE NOS VOISINS EUROPÉENS : AMÉLIORER L’EMPLOI DES SÉNIORS

En plus d’être juste, agir sur l’emploi des séniors est le premier levier de financement du système des retraites. Une hausse de 10 points de l’emploi des séniors – qui consisterait à le ramener à un chiffre comparable à la moyenne de nos voisins européens – comblerait l’essentiel du besoin de financement. La bonne solution serait donc de maintenir les personnes en emploi et de créer les conditions pour la poursuite volontaire de la durée d’activité. Les leviers sont ceux de la formation, de la prévention, de l’aménagement de fins de carrière, etc. Il est possible d’agir sur les comportements tout en garantissant la liberté de choix par des mesures incitatives. Par exemple : en améliorant les bonus existant pour celles et ceux qui travaillent au-delà de la durée requise pour le taux plein.

UNE ALTERNATIVE SOLIDAIRE : FAIRE ÉVOLUER LES COTISATIONS

Dans ses projections, le COR démontre qu’une augmentation de 0,7 point du taux moyen de cotisation permettrait de combler le besoin de financement pour les 25 prochaines années. Cela demanderait de rediriger une partie des augmentations futures de salaires bruts vers le système de retraite, afin de garantir un niveau correct de pensions à l’avenir. Dans ce cas, les salaires nets continueraient d’augmenter, d’autant plus si on associe ces efforts à d’autres solutions complémentaires. Pour la CFDT, l’augmentation des cotisations, notamment patronales, doit pouvoir être envisagée en cas de refus d’engagement des employeurs sur l’emploi des séniors. De même, pour financer une meilleure prise en compte de la pénibilité, la CFDT revendique la restauration de la cotisation patronale supprimée en 2017.

UNE ALTERNATIVE JUSTE : FAIRE PARTICIPER L’ÉTAT À LA HAUTEUR DES ENJEUX

La participation de l’État au financement du système de retraite est une clé du débat. L’État doit maintenir sa participation d’abord en tant qu’employeur, alors qu’il projette une diminution de la rémunération indiciaire des fonctionnaires (un peu plus de 18 % compte tenu de l’inflation d’ici 2027) au profit de la rémunération indemnitaire, qui n’est pas, elle, soumise à cotisation et n’ouvre pas de droit à la retraite. Il doit également soutenir la retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. En effet, les compétences et les dotations financières que l’État attribue aux hôpitaux et collectivités territoriales ont aussi un impact sur les politiques RH des employeurs hospitaliers et territoriaux. Il ne peut s’en désolidariser.

Enfin, l’État participe au financement des mécanismes de solidarité du système. Pour la CFDT, la solidarité doit être principalement financée par la fiscalité. On pense notamment à la fiscalité des revenus du patrimoine qui n’est toujours pas alignée sur celle des revenus du travail comme le revendique la CFDT. Augmenter la fiscalité du patrimoine permettrait d’augmenter les recettes fiscales pour l’État, qui pourrait ainsi contribuer davantage au système de retraite.

UNE ALTERNATIVE REVENDIQUÉE DE LONGUE DATE PAR LA CFDT : SUPPRIMER LES NICHES FISCALES INJUSTES ET INEFFICACES

La suppression de niches fiscales serait une autre solution pour améliorer les recettes du système. Il s’agit, par exemple, de certaines exonérations sur les heures supplémentaires qui réduisent les recettes de la sécurité sociale ou les exonérations de cotisations retraites patronales jugées inefficaces. Loin de tout fatalisme, le besoin de financement du système de retraite dépend essentiellement de choix politiques. Dans tous les cas, l’augmentation de l’âge légal est une mauvaise stratégie pour les travailleurs et les travailleuses. Premièrement, car l’efficacité budgétaire d’une telle mesure n’est pas démontrée. Deuxièmement, car c’est une mesure injuste qui accentue les inégalités. Les alternatives existent pour financer les retraites de demain : améliorer l’emploi des séniors, faire évoluer les cotisations, faire participer l’État à la hauteur des enjeux et supprimer les niches fiscales injustes.

La CFDT le dit haut et fort : 64 ans, c’est non !

TOUS LES OUTILS CFDT SUR LA RÉFORME DES RETRAITES CFDT

Pour retrouver les analyses, les propositions et les revendications de la CFDT, une seule adresse https://cfdt.fr/reforme-des-retraites