Ordonnance : une mauvaise réponse à une mauvaise question

Déclaration lue par Franck Loureiro pour la CFDT au CNESER du 16 octobre 2018, sur le projet d’ordonnance 
relative à l’expérimentation de nouvelles formes de rapprochement, 
de regroupement ou de fusion des établissements d’enseignement supérieur et de recherche.

Madame la ministre,

Depuis des années, la CFDT demande que l’on se saisisse des contradictions profondes de notre système d’enseignement supérieur – entre lycées et établissements d’enseignements supérieurs, entre université et grandes écoles, et plus récemment entre recherche d’une prétendue excellence sur un petit nombre de projets et demande sociale d’une démocratisation de la réussite étudiante, contradiction illustrée par la dichotomie jamais assumée entre loi ESR et appels à projets PIA. Notre objectif reste celui d’un grand service public unifié de l’enseignement supérieur et de la recherche, et nous n’avons jamais hésité à soutenir des projets gouvernementaux qui allaient dans ce sens.

Le projet d’ordonnance (ou est-ce seulement un avant-projet ?) qui nous est proposé aujourd’hui n’est malheureusement pas de ceux-là. Son choix est clair : laisser croître quelques projets emblématiques du PIA, dût-on pour cela renoncer à tout cadre commun aux établissements d’enseignement supérieur. Une bien étrange manière d’améliorer la lisibilité de notre système ! Le seul problème que ce projet cherche réellement à résoudre, ce n’est pas : comment mettre en cohérence enseignement supérieur universitaire et grandes écoles, mais plutôt : comment permettre à celles-ci de rejoindre, pour la forme, des ensembles universitaires, sans pour autant les soumettre aux contraintes de service public des universités, et tout en leur permettant de garder pour elles-mêmes leur prestige et leurs spécificités.

Pour répondre à cette mauvaise question, on s’acharne depuis des années : les rapports se sont accumulés, et plusieurs cavaliers législatifs successifs n’ont pas abouti. Mais les contradictions fondamentales demeurent. On préfère donc les cacher au cœur de prétendues expérimentations, dont le protocole paraît d’ailleurs bien éloigné des exigences scientifiques.  Qu’importe que les chimères que l’on crée ainsi soient fort peu plausibles… On pourrait donc voir un établissement privé devenir « composante » d’un établissement public ; on pourrait voir un exécutif d’établissement décider lui-même des conditions de son renouvellement… Et comment peut-on parler de coordination territoriale sans référence à un territoire donné ? Qui plus est, s’agissant de coordination territoriale de l’ESR, en prévoyant que cette coordination ne concerne ni la formation, ni la recherche ?

c’est l’identité même de l’université que l’on met en danger

En somme, Madame la Ministre, votre texte ne lève les contradictions qu’en privant les mots de leur sens. Dans quelques mois, le mot « composante » ne voudra plus rien dire, et celui « d’établissement public » ne voudra plus dire grand-chose.  Les termes de coordination et de territoires seront vidés de tout sens tangible, et tant pis pour les usagers et futurs usagers au profit desquels on tentait de mettre en place cette coordination… Quant aux mots « démocratie », « auto-gouvernance » ou participation de la communauté, la possibilité de déroger à tout ce qui fondait la démocratie universitaire en matière de limitation des pouvoirs de l’exécutif et de condition de représentativité des élus montre bien qu’on n’y voit plus guère que des obstacles à pousser hors de la route. Pour nous, en faisant de la sorte, c’est l’identité même de l’université que l’on met en danger.

Ce que vous nous proposez aujourd’hui est un bien mauvais texte, dont les effets risquent d’aller au-delà des quelques projets phares que ses rédacteurs avaient à l’esprit. Si nous avons proposé quelques amendements, c’est pour en illustrer les contradictions les plus saillantes ; nous persistons cependant à demander avec force le retrait pur et simple de ce projet.