Les enseignants-chercheurs privés de débat sur la LPPR

Le ministère n’a pas jugé utile de recueillir l’avis du CTU (Comité technique des personnels de statut Universitaire) sur la loi de programmation pour la recherche (LPPR). Une réunion pour information s’est tout de même tenue le 2 juillet après deux reports de dates.

Alors que le CTU a une compétence exclusive pour l’élaboration ou la modification des règles statutaires relatives aux enseignants-chercheurs (EC) régis par le décret n° 84-431 du 6 juin 1984, le gouvernement a fait le choix de ne pas requérir l’avis de cette instance de « dialogue social » sur la LPPR. La raison invoquée est que les avis d’instances de niveau supérieur ayant été rendus – celui du Conseil supérieur de la Fonction publique notamment –, la consultation du CTU n’était plus nécessaire.

Par conséquent, aucun article de la loi n’a été soumis au vote des représentants des enseignants-chercheurs, pas même celui qui introduit une nouvelle voie de recrutement  dans le corps des professeurs des universités par l’instauration des Chaires de Professeur Junior (CPJ – article 3).

Une parodie de dialogue social

La première convocation du CTU, qui devait initialement se tenir le 22 juin, portait comme unique point à l’ordre du jour la LPPR. À l’occasion d’un échange informel avec la DGRH au sujet de l’envoi de ses amendements, le Sgen-CFDT a découvert que le ministère n’avait pas l’intention de recueillir un vote du CTU et a pris connaissance des raisons pour lesquelles ce vote  était considéré comme inutile.

Suite au décalage du CTMESR, nous avons été avertis que le CTU était décalé d’une semaine et reporté au 29 juin. Un nouvel ordre du jour nous a alors été adressé, précisant que la présentation de la loi se faisait « pour information » (donc sans avis à donner).

Sur le plan symbolique ainsi que sur le plan réglementaire, le Sgen-CFDT a considéré que cette absence de recueil d’avis était inacceptable et l’a fait savoir dans un communiqué de presse. En effet, le texte régissant le CTU parle bien des « règles statutaires relatives aux EC régis par le décret de 1984 » et non pas des « règles statutaires exposées dans le décret de 1984 ». Autrement dit, toute règle statutaire touchant les EC des corps officiels de Maître de conférences (MCF) et de Professeur des universités (PU) est concernée. Or, une règle établissant qu’il est désormais possible de recruter un PU sans passer par un comité de sélection, est bien une règle statutaire. Ou alors, cela signifierait que la formulation étrange de la LPPR permettrait une titularisation des CPJ dans « un corps de professeurs » qui n’est pas celui des « professeurs des universités ». S’agirait-il de la création d’un nouveau corps de professeurs spécifique, et qui ne serait pas régi par le décret de 1984 ? Comme nous refusons de verser dans la sur-interprétation, nous considérons qu’il eût été nécessaire de requérir l’avis du CTU, au moins sur ce point.

La réunion du CTU s’est finalement tenue le jeudi 2 juillet (faute de quorum le 29 juin) et fut l’occasion pour nos élus de faire entendre leur mécontentement. Une déclaration liminaire a été lue puis transformée en vœu soumis au vote du CTU, vote qui a recueilli l’unanimité moins une abstention.

Déclaration et vœu lus et proposés par les élus du Sgen-CFDT

La LPPR n’est pas la loi de programmation pluriannuelle que la communauté universitaire appelait de ses vœux pour refinancer la recherche et l’enseignement supérieur.

D’abord parce que la programmation à proprement dite n’est pas à la hauteur des besoins ni des enjeux révélés par la crise sanitaire.

L’objectif de porter à 3% du PIB les dépenses de R&D – qui a été réaffirmé par la stratégie de Lisbonne en mars 2000 (horizon 2010) mais qui était déjà présent dans un ouvrage du Commissariat général du Plan édité en 1964 pour l’horizon 1985 –, est repoussé à la décennie d’après 2030 !

Le rapport annexé (p. 4) cite les pays qui ont d’ores et déjà atteint ou dépassé les 3%, dont l’Allemagne (3%), le Japon (3,2%) ou la Corée du Sud (4,5%) et qui visent désormais des objectifs supérieurs (respectivement 3,5%, 4% et 5%).

Si l’on considère les annonces récemment faites par l’Allemagne concernant l’effort supplémentaire qu’elle prévoit en matière de recherche pour l’après Covid19, les « ambitions » affichées par la LPPR ne permettront pas d’éviter le décrochage de la France.

Ensuitecette loi de programmation de la recherche ne fait aucune mention du lien Formation/Recherche, ce qui est un non sens !

Le décrochage de l’enseignement supérieur (sous encadrement chronique, démographie étudiante, conséquences de la crise sanitaire en matière d’accueil et de pédagogie, etc.) obèrera inévitablement la capacité de recherche. Qu’en est-il de l’objectif de 2% du PIB pour l’Enseignement supérieur affiché par la StraNES ? Plus rien n’est dit sur ce sujet pourtant crucial !

Cette loi de programmation de la recherche ne fait aucune mention du lien Formation/Recherche, ce qui est un non sens !

L’accentuation de la rupture du lien Formation/Recherche est aggravée par l’ajout de nouveaux dispositifs contractuels (CPJ, CDI de mission, pléthores de CDD…) qui vont parachever une bascule totale en faveur de l’activité recherche au détriment des autres missions que les établissements et personnels de l’enseignement supérieur public ont à assurer au service des usagers et de la nation. Le métier d’enseignant-chercheur s’en trouvera encore plus dévalorisé et profondément dénaturé.

Le programme 172 est donc le principal bénéficiaire de l’effort budgétaire du fait des financements attribués à l’ANR. Pour le programme 150, la programmation ne concerne que les incidences budgétaires qui découlent de la loi. Ainsi, l’effort budgétaire consenti sur ce programme servira d’abord à financer les dispositifs RH nouveaux prévus par la loi (cf. rapport annexé p. 40).

Quant aux revalorisations annoncées, elle représentent une enveloppe de 92M€ / an pour l’ensemble des personnels du périmètre EPSCP, EPST, EPIC pendant toute la durée de la programmation, y compris pour ceux qui seront recrutés dans le cadre des dispositifs prévus. Cette revalorisation ne portera que sur l’indemnitaire et restera très insuffisante en regard du retard considérable que les personnels de ce secteur accusent par rapport à l’ensemble de la Fonction publique. Aucune revalorisation des grilles indiciaires n’est par ailleurs prévue (p. 17) alors que le niveau de vie de ces personnels s’est effondré ces dernières décennies.

Le CTU ne peut que regretter que ce projet de loi s’inscrive dans la continuité des politiques conduites en matière d’ESR depuis une quinzaine d’années : des politiques de dérégulation systématique, privilégiant la concurrence à la coopération et généralisant la précarité dans l’emploi scientifique.

Enfin, cette loi aura totalement délité le dialogue social en poussant à son paroxysme le mépris des représentants du personnel siégeant dans les instances ministérielles, en particulier le CTU qui aura été particulièrement malmené dans cette séquence de pseudo consultations conduites à la hussarde.

Le CTU aura été particulièrement malmené dans cette séquence de pseudo consultations conduites à la hussarde.

Non, définitivement non, la LPPR n’est pas ce que la communauté universitaire, et en particulier les EC, espérait pour que l’ESR du jour d’après ne soit pas un retour aux jours d’avant.

Les organisations représentées au CTU émettent le vœu que le gouvernement sorte du calendrier infernal dans lequel il s’est engagé pour la LPPR et reprenne un vrai dialogue social pour répondre aux attentes des personnels de l’enseignement supérieur, notamment des EC, et aux besoins de l’ESR pris dans son ensemble.

VOTE : UNANIMITÉ moins UNE abstention

Le 1 pour 1 : pas acceptable en l’état

Un paragraphe spécifique sur la négociation ouverte autour du dispositif dit du 1 pour 1 figurait dans la déclaration liminaire mais il a été retiré dans la version soumise au vote du CTU à la demande des organisations syndicales qui ne participent pas à cette discussion.

Devant une opposition quasi unanime, la ministre a pris des engagements devant les membres du CNESER, en particulier sur les articles 3 et 5. Ces engagements, en particulier celui dit du 1 pour 1 ne rendent pas le dispositif des Chaires de Pr Junior acceptable et nous resterons extrêmement vigilants vis-à-vis des conséquences que cela pourrait avoir sur l’avenir des MCF et des chargés de recherche (CR). En effet, telle que formulée pour l’instant, la proposition de transformation d’un poste de MCF en PU par la voie du 46.3 sans création de poste de MCF à proportion, ne peut qu’accélérer la mise en extinction du corps concerné (idem pour celui des CR). En l’état, cette proposition n’est pas acceptable !

La simplification du contentieux sur le recrutement des EC

Le SNESUP-FSU a déposé 3 vœux dont un correspondant à la suppression d’un certain nombre d’articles de la LPPR. Le Sgen-CFDT s’est positionné conformément aux votes réalisés en CNESER. Nos élus ont donc voté en faveur de la suppression des articles 3, 5, 8, 14, 17 et 19 et se sont abstenus sur les articles 4, 12 et 13.

Le Sgen-CFDT a déposé, en séance, un vœu de retrait de l’article 20. Bien que cet article relève du droit du contentieux, il pose problème : sous couvert de simplification, il limite les possibilités de recours en liant l’ensemble des décisions comme concourant à l’acte final de nomination qui resterait le seul susceptible de recours. Or, les décisions qui interviennent dans un processus de recrutement d’enseignant-chercheur relèvent de plusieurs instances souveraines et ne sont pas toujours de même nature. Par exemple, la décision du CAC restreint relative aux demandes de mutations pour priorités légales (rapprochement de conjoints, situation de handicap) intervient en amont du comité de sélection soit relativement tôt dans la procédure. Elle doit rester opposable, y compris par la voie d’un référé.

La décision du CAC restreint relative aux demandes de mutations pour priorités légales doit pouvoir faire l’objet d’un recours

Le Sgen-CFDT demande un renforcement du contrôle de légalité sur les décisions des instances universitaires en matière de recrutement car il y a beaucoup de décisions douteuses qui ne sont pas contestées par les collègues qui craignent de compromettre leur avenir.

L’ensemble des organisations syndicales a souhaité s’associer à cette proposition de retrait de l’article 20 (sauf SUD) et le vœu a été voté à l’UNANIMITÉ du CTU.

In fine, la réunion du CTU sur un sujet aussi crucial que celui de la LPPR aura été expédiée en un peu plus de deux heures.