Transition écologique juste : agir avec les collectivités territoriales

La transition écologique est un sujet majeur pour notre société. Les collectivités territoriales l'ont compris en multipliant les actions dans ce domaine et ce dans un contexte budgétaire contraint. Damien Berthilier nous parle des défis à relever pour rendre cette transition le plus juste possible.

Ancien adjoint chargé de l’éducation de Villeurbanne, Damien Berthilier a fondé en 2020, un cabinet conseil « Territoire éducatif » pour favoriser au plus près des usagers la construction d’alliances éducatives. La transition écologique est aujourd’hui un sujet majeur dont beaucoup de collectivités territoriales se sont emparées. Il a accepté de nous partager son expérience autour des actions menées.

De par votre expérience du travail des collectivités territoriales en matière d’éducation, la transition écologique vous semble-t-elle y trouver aujourd’hui une place durable ?

Oui, tout à fait. D’abord parce que les collectivités sont des acteurs éducatifs à part entière, une action renforcée par la Loi de Refondation de 2013. La présence de projets éducatifs territoriaux fait que les collectivités sont au centre de l’animation de la politique éducative sur leur territoire ; donc elles s’intéressent aux grands enjeux éducatifs qui doivent être abordés sur l’ensemble des temps de l’enfant. Dans le 1er degré, le temps en classe est minoritaire dans la vie de l’enfant. Ils passent parfois plus de temps en péri ou extra scolaire. L’idée des projets éducatifs, c’est ce sur quoi j’ai beaucoup travaillé ces dernières années, mais cela existe aussi avec les projets éducatifs départementaux. On est passé d’un rôle d’aménageur, et de prestataire de l’éducation nationale à celui de partenaire. C’est flagrant sur les enjeux contemporains et particulièrement de la transition écologique. La neutralité Carbone 2050 leur impose de jouer un rôle majeur sur ce sujet. Les collectivités ont donc des objectifs en matière de transition écologique mais aussi en matière d’éducation. Si on met les deux ensemble, on peut sans problème imaginer une politique éducative incluant les enjeux de transition écologique juste. Le changement climatique, le bâtiment scolaire, la végétalisation sont des éléments centraux dans la question de la résilience et pour lutter contre le changement climatique, pour la biodiversité

Transition écologique : Interview de Damien Berthilier
Damien Berthilier

La transition n’est – elle qu’une question de bâtiment scolaire ?

Non, quand j’étais élu à Villeurbanne, on était la première ville à priori de l’académie à avoir végétalisé les cours d’école en 2018-2019. Avant, les cours d’école étaient forcément un espace rectangulaire bitumé. Aujourd’hui, si vous interrogez les collectivités, celles qui ne se sont pas encore lancées dans un processus de végétalisation des cours d’école sont en retard. Donc forcément, à partir de cet enjeu, d’autres enjeux en lien avec l’éducation et l’environnement, l’éducation à la transition écologique, l’éducation à la biodiversité vont se poser. Quand une commune refait sa cours d’école, elle va interroger les usages avec l’éducation nationale, avec les temps périscolaires, avec les enfants eux-mêmes. On dispose d’un vrai levier à travers ça, comme peut l’être l’aménagement de la ville. La transition écologique est un pilier des projets éducatifs.

La question de la restauration collective est-elle aussi au centre des réflexions territoriales ?

Ce qui est intéressant avec l’alimentation c’est que c’est à la fois une politique à part entière des collectivités aussi bien en urbain ou rural mais aussi une question éducative. Ainsi, le fait de pouvoir travailler en circuit court, en bio traduit une volonté de partenariat entre la fabrication des aliments et ceux qui les produisent. L’enjeu de la végétalisation de l’alimentation, enjeu de la loi EGALIM, est porté de manière volontariste par beaucoup de collectivités. Le besoin de beaucoup de légumineuses dans les années qui viennent, va nécessiter la façon dont on va travailler avec les agriculteurs pour rester sur de la production locale et finalement impacter la restauration scolaire. Ainsi, on agit sur l’éducation au goût, à l’alimentation durable. Cela veut dire qu’il faut travailler toute la chaîne en amont, depuis la production à la transformation, avec tout l’enjeu de travailler davantage avec des produits bruts, pas simplement avec de l’ultra-transformé.

En aval, la gestion des déchets est tout aussi importante. Autour du compost, on va construire à l’échelle d’une école un projet à la fois périscolaire, mais aussi scolaire. Les enseignants vont pouvoir travailler sur le compost, sur l’agriculture, sur le vivant. Par exemple, dans les établissements labellisés E3D va se greffer à des interventions qui vont être financées par les collectivités ou encore un réaménagement des espaces. Souvent dans ces labellisations, on a des demandes pour disposer de lieux de jardinage, de compost, de ruches par exemple.

Et pour les mobilités ?

Ce sujet, il faut le travailler de manière systémique. Ainsi la question du comment les enfants arrivent à l’école impacte des aménagements plus larges sur la vie des enfants et la façon qu’ils se déplacent de façon plus active. Il faut aussi voir comment la collectivité va faciliter les sorties scolaires, comment permettre l’accès à des espaces naturels de proximité. Il y a l’accessibilité au sens matériel, mais aussi l’accessibilité au sens de la connaissance. Les enseignants vont devoir s’approprier ces espaces naturels. On est donc obligé de travailler entre collectivité et éducation nationale sur ces sujets-là. La mobilité devient un enjeu éducatif à part entière. Pour apprendre le vélo par exemple, compétence de l’éducation nationale, il faut nécessairement passer par le milieu ouvert, aux collectivités de le faciliter. Derrière, c’est aussi comment les familles vont se déplacer sur l’espace public, s’équiper, circuler. Ici, il ne s’agit pas simplement d’apprendre aux enfants à faire du vélo, si le week-end ils ne peuvent pas en faire avec leurs parents ou en autonomie pour aller découvrir des espaces proches à 10 ou 15 minutes ou pour aller en centre-ville.

Peut-on parler de transition écologique juste avec le numérique ?

Le numérique c’est extrêmement intéressant, parce qu’on est sur quelque chose où le rôle des collectivités est essentiel, puisque elles vont être pourvoyeuses du matériel et de sa maintenance. On va devoir prévoir l’achat du bon matériel pour le bon usage et sa mutualisation. Il faut aussi réfléchir à quelque chose de durable, de recyclable, réparable tout en gardant un bon usage pédagogique. La formation à l’outil et le choix des outils doit se faire dans un même continuum. Le choix doit être pensé en associant tous les acteurs, les actrices. Là, on a encore beaucoup de progrès à faire. L’Etat impulse des dynamiques intéressantes, mais peu pérennes. De l’autre côté, chaque collectivité a tendance à vouloir mettre en place ses outils matériels. Les ENT posent question. Est-ce qu’on va vers des ENT publics ou privés, mais recommandés, labellisés ? Quelle échelle territoriale est pertinente ? Quant on a 3 ENT entre l’école et le lycée, comment les familles arrivent à se les approprier ? La logique de développement durable, c’est aussi la logique d’inclusion pour tout le monde. La gouvernance doit être claire et le projet éducatif en fixe les contours.

Repenser la transition écologique en végétalisant les cours de récréation
Végétalisation de la Cour de l’École La Maraîchère à Trélazé (49)

Pensez-vous que l’EPCI est la bonne échelle ?

Les EPCI sont des échelons pertinents, mais pas toujours activés. Les compétences de la transition écologique remontent très souvent à l’intercommunalité. Mais la connexion avec l’éducation se fait souvent peu à l’exception notable de beaucoup de zones rurales qui ont des RPI. Dans le champ du 1er degré, l’EPCI jouera son rôle surtout s’il y a des projets éducatifs intercommunaux. Cependant, l’éducation à l’environnement à l’échelon intercommunal n’est pas toujours prise en charge par les collectivités. Sur Grenoble-Alpes-Métropole existe un programme d’éducation à l’environnement pour le 1er degré. L’EPCI finance des interventions dans les écoles, sur plusieurs axes : l’eau, la biodiversité, le changement climatique, tout un tas de sujets sur lequel ensuite les enseignants vont aller piocher. L’enjeu des prochaines années, c’est comment permettre un meilleur continuum éducatif.

Comment les collectivités territoriales basculent-elles dans la transition écologique : contraintes, volontés ?

Les contraintes réglementaires existent. La loi EGALIM permet plutôt d’intervenir du côté de la transition écologique que du côté strictement de l’éducation. L’État est encore aujourd’hui trop peu incitatif sur les projets éducatifs, surtout ces dernières années. On est toujours sur des démarches volontaristes. Moi, je trouve qu’il y a un certain nombre de collectivités qui vont bien au-delà de ce que même l’État a engagé. Je prends l’exemple de la classe dehors avec ce que fait la Fabrique des Communs Pédagogiques. Beaucoup de collectivités s’y sont engagées, Poitiers, Marseille notamment. On le voit aujourd’hui aussi autour d’expériences inspirées d’Italie (Montpellier, Lille). Dans ces villes, la transition écologique a toute sa part. Pour ces villes, on se retrouve dans le paradoxe où ce sont les collectivités qui vont pousser à ce que l’éducation nationale, au sens institution, j’entends, mette en place. Pour cela, les collectivités vont s’appuyer sur des enseignants moteurs, mais à qui il manque les outils matériels ou la formation. A Lyon, les enseignants ont pu être formés grâce à la volonté municipale. L’éducation nationale, elle, suit. Après, va se poser la question de l’équité territoriale, justement dans les lieux où il n’y a pas d’impulsion des collectivités. On ne peut pas attendre qu’il y ait une impulsion sur l’éducation et la transition écologique, s’il n’y a pas d’éducation tout court.

Le fait que l’État soit donneur d’ordre, est-ce un repoussoir pour les collectivités territoriales ?

Oui, et non ! Je suis un décentralisateur raisonné, donc je suis toujours pour le fait qu’on laisse l’initiative aux collectivités. Là, aujourd’hui, dans la loi, elles ont l’initiative. Mais attention ne pas se laisser entraîner par les personnes avec lesquelles on a l’habitude de travailler. Cela passe inévitablement par une incitation financière. Pourquoi aujourd’hui les PEDT se sont effondrés ? Parce que, à part les taux dérogatoires et éventuellement des financements sur le plan mercredi, il n’y a plus de carottes financières. On ne peut pas demander aux collectivités de faire beaucoup plus sur cette question. Un accompagnement financier existe : la Convention territoriale globale (CTG) financée par la CAF. CTG et PeDT seront de plus en plus interconnectés. Cela peut être un vrai levier, sauf qu’aujourd’hui l’impulsion de la CAF sur la transition écologique est quand même très faible. Donc oui, il faut une intervention de l’État si on veut qu’accompagner les collectivités qui n’ont les moyens d’ingénierie, et inciter fortement celles qui n’ont pas envie de faire.

Pensez-vous que l’enjeu de la Transition écologique est aussi présent dans les petites collectivités territoriales ?

J’ai aussi travaillé sur des projets éducatifs dans de petites collectivités. Le Touvet en Isère par exemple où la question de la transition écologique est absolument essentielle notamment du fait du rapport à la montagne, au changement climatique, à la biodiversité. Ce sont des territoires sur lesquels les questions de transition écologique sont peut-être parfois encore plus prégnantes parce que la transformation du vivant, de la biodiversité et l’impact du changement climatique y seront plus fortement ressentis. La transition écologique doit être abordée avec les habitants. Le Zéro artificialisation est un sujet devenu extrêmement inflammable et politiquement compliqué à manier. Malgré tout la question de l’éducation à l’environnement reste consensuelle à condition qu’on arrive à l’aborder de manière scientifique, raisonnée, partagée, en associant bien les parents à ce qui est fait pour ne pas donner l’impression qu’on construit une éducation à la transition écologique en contradiction avec leurs pratiques notamment sur les mobilités. La question n’est pas de pointer les habitudes des familles dans l’utilisation de leurs véhicules mais de leur montrer que d’autres choix sont possibles. Aujourd’hui, les jeunes se posent les questions de mobilité de manière très différentes de leurs aînés. Ainsi, à partir d’un certain âge, ils aimeraient davantage prendre le train ou se déplacer à vélo. Mais sans sécurisation des mobilités cyclables, ils vont se réfugier vers des mobilités considérées par les parents plus sûres comme les voitures sans permis. En ville, dans les lycées bourgeois, malgré les mobilités possibles certains jeunes choisissent ce moyen par volonté d’indépendance ou « snobisme ». En rural, le scooter et la mobylette n’existent quasiment plus. Il faut donc en ruralité soit rassurer sur les mobilités actives, soit développer le train et le voir comme une forme de transition écologique joyeuse pour construire une société plus vertueuse.

Pensez-vous que la transition écologique peut aussi venir de la population ? Sur quels diagnostics s’appuyer ? Comment informer ? Repenser l'espace public pour une transtion écologique juste

Effectivement, les initiatives publiques se multiplient et on voit bien souvent des parents moteurs. La suppression des boîtes plastiques dans les cantines vient d’une très forte pression des parents et des perturbateurs endocriniens. Pour la mobilité à vélo, ils ont aussi beaucoup poussé mais attention à regarder la sociologie de ces familles et faire attention à ce que justement ces questions ne soient pas l’apanage des quartiers très gentrifiés. La cohésion des territoires est centrale via le projet éducatif pour disséminer sur tout le monde, ce ne peut être le fait de quelques uns. Se déplacer à vélo ou changer des comportements demandent des ressources financières économiques, culturelles qu’une collectivité n’a pas forcément. Il faut donc s’’appuyer sur la compréhension des classes populaires. En milieu rural, ce sont ceux qui travaillent surtout en milieu agricole. Pour travailler ces questions éducatives on fait venir des agriculteurs pour examiner ce qui est consommé à la cantine. Des choses peuvent partir d’initiatives mais il faut avoir en tête qu’elles peuvent être autant positives que négatives. Des communes peuvent aussi connaître de fortes pressions pour aménager des espaces semi-drives devant les les écoles. Ce débat doit exister avec les familles san tabou. Il faut utiliser les expériences notamment du réseau des villes éducatrices qui ont une vraie expertise sur le sujet. Ainsi, quand on travaille sur la végétalisation, on peut s’appuyer aujourd’hui sur les réseaux d’éducation et sur les associations d’éducation scientifique. Ça peut être l’occasion de travailler sur les mesures de température, sur le changement climatique avec des ressources ayant une vraie base scientifique. En matière de rénovation de bâtiments scolaires, les collectivités peuvent utiliser les ressources portées par la Banque des Territoires où existent des moyens d’ingénierie favorisant la collaboration, la coopération des acteurs, des actrices. Les projets éducatifs et des projets d’école ou d’établissement doivent avoir des logiques de convergence ou au moins de complémentarité pour favoriser l’animation territoriale à l’échelle d’un bassin de vie d’un quartier, d’une ville.

Que pensez-vous de la formation comme levier ?

Les freins à la formation sont nombreux. Je pense qu’on met d’abord les freins avant de poser les solutions. Malgré tout, des choses avancent, on l’a vu sur l’inclusion ou la laïcité par exemple. Il y a besoin de former l’ensemble des professionnels qui interviennent auprès des enfants sur la transition écologique quand on le fait ensemble. C’est intéressant parce qu’on va travailler sur des logiques de complémentarité. Les collectivités disposent de ressources pour financer des intervenants qui vont venir travailler avec les enseignants pour les rendre autonomes ensuite.

Pensez-vous que les collectivités connaissent le fonctionnement des collectivités territoriales ?

C’est une vraie question. Mais ça va aussi dans les deux sens. J’ai toujours dit aux directeurs d’école d’aller voir comment travaille un directeur de l’éducation dans une collectivité, pourquoi il ne répond pas toujours. Et inversement pour voir comment un directeur d’école est interrompu dans sa journée. Cette simple connaissance n’est souvent pas partagée. Les cadres de territoire méconnaissent les programmes scolaires et les cadres de l’éducation nationale n’ont aucune idée des contraintes des collectivités même les IEN. Un des enjeux mais j’ai beaucoup de mal là-dessus à me faire entendre, c’est de faire en sorte qu’on pense la formation enseignant animateur mais aussi IEN cadres territoriaux. Les cultures sont très éloignées, à nous de les rapprocher. Des formations existent au CNFPT et on gagnerait en cohérence si elles étaient ouvertes aux enseignants également.

Les élections municipales approchent, pensez-vous que la transition écologique sera un enjeu ?

Ce sera un sujet central mais pas forcément que pour des bonnes raisons. A Lyon et à Paris, je le mesure, ailleurs, c’est un sujet qui peut être inflammable. La question de la place de la voiture en ville est difficile. il y a des effets cliquets. Personne ne reviendra sur la végétalisation ou sur l’évolution autour de la restauration scolaire mais il faut aller plus loin sur la question de la vraie éducation à l’environnement. En même temps on voit bien qu’aujourd’hui on ne peut plus penser la ville de demain, les villages de demain sans penser l’habitabilité. La question éducative est au centre car il faut rappeler que cela représente entre un quart et un tiers du budget municipal. Si l’on ajoute ceux sur le sport et la culture, c’est encore plus. La CFDT en pesant localement dans les discussions va faciliter les conditions d’exercice du métier d’enseignant sur le sujet de la transition écologique.

Comment en êtes-vous arrivés à vous intéresser à cette question ?

On est tous le produit des longues histoires et parfois on n’échappe pas complètement à une reproduction culturelle et sociale. Avoir un père syndicaliste enseignant et mutualiste, une mère assistante sociale a sans doute éveillé chez moi quelques intérêts pour le sujet de l’enfance. Ensuite comme élu à l’éducation et cadre territorial sur la jeunesse, j’ai toujours été en contact de ces sujets. Ce qui m’intéresse c’est comment on fait travailler les différentes échelles ensemble et comment cela résonne globalement et localement en même temps. On doit se battre pour qu’il y ait une éducation nationale qui ne soit pas incompatible avec des projets éducatifs forts. L’égalité républicaine doit fonctionner avec une dynamique territoriale forte. Ce qui m’intéressait, c’étaient les projets éducatifs et les manières de le faire. Je me suis rendu compte qu’il n’y avait peu de cabinets spécialisés dans l’éducation. C’est un sujet qu’on peut traiter de la même manière que d’autres politiques publiques. Mon grand bonheur depuis 5 ans c’est de pouvoir travailler avec des territoires différents, de pouvoir me rendre compte que sur un endroit on pense que rien n’est possible. Pourtant, après un diagnostic, certaines choses deviennent possibles. J’accompagne des élus, des cadres territoriaux parfois des cadres de l’état pour tenter de progresser ensemble. J’ai toujours l’impression de me battre pour le service public d’éducation notamment pour les questions de transition écologique qui sont très interdépendantes de la citoyenneté.