Financement de la recherche, emploi scientifique, innovation : des enjeux nécessitant un signal budgétaire fort.
Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche – 11 mars 2019.
Pour commencer, la CFDT tient à souligner qu’elle est heureuse que s’ouvre ce débat, car cela fait longtemps qu’elle réclamait une loi de programmation de la recherche, qui permettra de donner une véritable visibilité budgétaire pluriannuelle aux laboratoires, et favorisera ainsi l’engagement de recherches sur le moyen et long terme, qui seules pourront fonder véritablement les innovations de demain.
Nous saluons aussi le périmètre donné à cette loi, qui englobe aussi bien la recherche dans les universités et autres EPSCP que dans les EPST et les EPIC. C’est en reliant ces trois piliers de la recherche française que l’on pourra véritablement rendre effectives des stratégies nationales.
Interrogations sur la réalité des actions qui seront mises en oeuvre
Il n’est pas possible cependant d’éluder le constat qui se répète et n’évolue guère au fils des ans. Nous sommes loin d’atteindre un investissement en matière de recherche à hauteur de 3% du PIB comme l’Europe le préconise depuis vingt ans.
Même si nous ne pouvons donc que saluer cette initiative, qui contribuera certainement à alimenter la réflexion sur la place de la recherche dans notre pays, nous nous interrogeons sur la réalité des actions qui seront mises en œuvre. En 2017, déjà, la recherche avait fait l’objet d’une étude approfondie dans le « Livre blanc de l’ESR » qui effectuait un constat exhaustif et clairvoyant de la situation ainsi qu’un plan de préconisation aussi bien sur les structures que sur l’effort de financement. Sans parler de la Loi sur la recherche de 2005. Mais où sont les bilans et les enseignements tirés de cette loi et de ces travaux ?
À propos des groupes de travail
Quelques mots sur les thématiques des groupes de travail :
La recherche sur projet et le financement des laboratoires
Depuis dix ans, l’État n’a eu de cesse de multiplier les guichets de financement tout en abaissant les subventions directes, via des réductions des coûts de fonctionnement manquant de discernement, des contrats d’objectifs et de performances et plans à moyen et long terme aux trajectoires baissières. On peut ainsi citer :
- L’Agence Nationale de la Recherche (ANR), un peu mieux dotée depuis l’an dernier, mais qui induit une perte importante de moyens consacrés à la préparation de projets non retenus, aux dépens des forces des laboratoires. Sans compter que les équipes performantes dans leur domaine ne possèdent pas toujours les ressources nécessaires pour monter en permanence des appels à projet.
- Des Fonds uniques interministériels (FUI) destinés à financer la recherche appliquée qui multiplient les structures intermédiaires et s’affrontent parfois dans des logiques territoriales contradictoires.
- Des Investissements d’avenir : PIA attribués selon une stratégie fluctuante, qui manquent d’une vision à très long terme.
- Des labellisations pléthoriques (IDEX, I-SITE, LABEX, EQUIPEX…) qui concentrent les moyens dans certains territoires et ajoutent de la complexité en démultipliant les coûts de structure et de gestion.
- Une gestion indépendante des TGIR qui peut mettre en difficulté les opérateurs et sur lesquels aucun regard ni avis ne peut être porté par des représentants de salariés.
- Le CIR qui, sans entrer dans un débat que le CNESER aura l’occasion de reprendre par ailleurs, ne produit clairement pas les effets escomptés en matière de développement de la recherche privée.
Pour résumer, à nos yeux, le groupe de travail sur le financement des laboratoires doit être guidé par un souci de simplification et de rééquilibrage conséquent des financements au profit des ressources directes des laboratoires.
Sur l’attractivité des emplois et des carrières scientifiques
Trois constats majeurs :
1) Le financement par projets (ANR, FUI, H2020…) induit une très forte précarité associée à une compétition exacerbée qui ne peut que décourager une partie des personnels. Un rééquilibrage entre ressources directes et financements sur appels à projets permettrait de réduire cette précarité. À condition que la future loi sur la fonction publique ne crée pas de nouvelles formes de précarité : la CFDT travaille à ce que ce ne soit pas le cas et tient à alerter sur ce point. Nous n’accepterons pas, en particulier, que la durée des contrats temporaires s’allonge indéfiniment et que ces contrats se multiplient.
2) La réduction des coûts de gestion et de fonctionnement, qui amène à réduire les fonctions supports pour préserver les emplois de chercheurs, nuit en réalité à l’efficacité de ces derniers en les amenant à consacrer une partie de leur temps à des fonctions qui ne sont pas les leurs. Une meilleure prise en compte de ces emplois supports indispensables au fonctionnement des laboratoires est nécessaire.
3) La politique salariale depuis dix ans ne valorise plus les métiers de la Recherche. Par exemple, les EPIC n’ont eu que des résultats négatifs de leurs négociations annuelles obligatoires ces dernières années. Tout cela induit une grande difficulté à susciter des vocations auprès des jeunes générations, qui ne souhaitent plus s’engager dans des parcours de recherche pour des perspectives n’offrant plus une reconnaissance suffisante par rapport aux efforts consentis. La tentation est donc de plus en plus grande pour les jeunes de se tourner vers des métiers plus rémunérateurs et souvent socialement plus valorisants que ceux de la recherche.
Le groupe de travail sur les carrières ne peut donc évacuer la question de la rémunération et des emplois, qui nous semble centrale. La reconnaissance tant des chercheurs que des inventeurs, via les rémunérations issues des licences, est un préalable indispensable pour redonner des perspectives dans les métiers de la recherche.
Concernant l’innovation et la recherche partenariale
La question de l’innovation est au cœur de l’évolution des pays industrialisés à l’heure de la transition énergétique et écologique ou de la révolution spatiale induite par l’entrée de nouveaux opérateurs comme SpaceX. La France ne doit pas rater ces virages, ce qui implique une action volontariste : l’État doit être véritablement stratège, et de manière pérenne, en matière de recherche, et une coordination à l’échelle européenne est indispensable. Cette stratégie existe déjà sur le papier : il s’agit de la SNR et de la STRANES, définies en 2015. Reste maintenant à les rendre effectives par des applications concrètes.
Car le fait est que, malgré les efforts consentis depuis une dizaine d’années, qui ont permis un rapprochement des laboratoires universitaires, des EPST et des EPIC, via les pôles et clusters de compétitivité, SATT et PRTT…, l’absence de vision de la part de l’État sur le rôle et les missions de chacun n’a permis que des développements modestes comparés à ceux constatés dans le reste du monde en particulier en Allemagne, au Japon, en Corée, aux USA et en Chine. L’absence de feuilles de route claires et volontaires pour les stratégies nationales n’a pas évité la désindustrialisation et une relégation (du 5ème au 7ème rang mondial) de la France dans la compétition mondiale.
Le CIR, dont nous reparlerons lors du prochain CNESER, peut être un outil pour permettre le développement de technologies issues de la recherche mais le système mériterait une meilleure évaluation. En particulier le retour sur investissement en termes d’emplois dans toutes les catégories d’entreprises doit être établi et analysé.
Le groupe de travail sur l’innovation et la recherche partenariale ne pourra produire de modèle fiable et unique du processus d’innovation. Celle-ci s’opère en fonction d’une matrice multi-échelle et multidisciplinaire, qui nécessite souvent de l’aléa humain et implique des phénomènes découverts un peu par hasard en cherchant autre chose, avec des personnes qui soient capables d’en saisir l’intérêt pour réussir.
Seules des politiques où les projets sont financés au bon niveau, dans des ambiances propices à une analyse sereine et rationnelle des études menées, peuvent permettre de déboucher sur des innovations et des services qui répondent correctement à la demande et aux besoins.
Conclusion : donner un signal budgétaire fort
Vous comprendrez que pour nous l’enjeu est immense sur ce qu’il doit sortir de cette réflexion, sur laquelle nous souhaitons évidemment que le CNESER soit régulièrement informé.
Nous saluons cette initiative qui semble avoir l’ambition de remettre à plat le système et proposer des améliorations. Nous nous permettons de vous mettre en garde sur les questions économiques et le financement de la recherche française. Ces questions ne doivent pas être éludées sous prétexte que les groupes de travail doivent avant tout s’attacher à analyser puis à proposer des nouvelles organisations, améliorer les processus, etc. Sans « carburant », c’est-à-dire un financement au bon niveau et une politique RH de renouvellement et de renforcement de l’emploi scientifique, toutes les préconisations nouvelles qui seront proposées seraient une simple manière de se répartir la misère !
Il faut donc donner un signal budgétaire fort dès les premières années d’application de cette loi, pour redonner espoir au monde de la recherche.